Jeudi 19 avril 2007 à 2:43


         Et je me rendis compte que j'étais complètement seul dans cette ville, atrocement seul. La nuit était chaude, les lumières étaient belles et je pensais avoir besoin de sortir… mais c'était un piège.
Je pensais alors rencontrer quelqu'un, de nouvelles personnes, ce n'est pas ce qui manque dans Paris. Mais très vite, être à la fois entouré de dizaines de silhouettes et isolé de tous, provoque un vertige sans nom, une sensation d'angoisse pure, les rues m'oppressaient, l'indifférence des gens me torturait. Une impression de solitude infinie. Aucun ne se soucie de vous, vous n'existez pas, et c'est le début de la fin.
         Alors mon ventre se contracte, je suis rongé de l'intérieur. Progressivement, je sens les traits de mon visage s'affaisser, comme si chaque pli de ma face était rempli de plomb. Je me sens tellement triste que je n'ose me regarder dans aucun reflet de cette ville, j'ai sans doute peur de voir une face hideuse, défigurée, misérable, mais je suis sûrement aussi effrayé de ne plus rien voir du tout, ne pas avoir de reflet. Je n'existe déjà plus et le monde ne s'en porte pas plus mal, la terre continue de tourner. Personne ne se soucie de moi, aucun ne s'intéresse à mon existence, et c'est bien là, la pire des choses qui puissent arriver, l'indifférence.
Dans cette ville immense, tout le monde m'ignore, j'avais pourtant tant besoin de parler mais nul ne me connaît. Pas un seul n'a de raison de m'aimer. Je ne compte pas, je ne compte plus, pour personne. Je suis alors persuadé que la prochaine femme qui croisera mon regard ; si cela arrive un jour ; aura pitié de moi tellement je ressens la solitude suer de mon visage, et j'ai honte.
Mais aucune ne me regarde. Je n'existe plus. Triste, triste à en mourir. J'ai terriblement peur que cette solitude qui me pèse ne me quitte plus, qu'elle reste à mes cotés tout au long de ma vie, car après tout, rien ne semble décidé à bouleverser l'ordre établi.
Alors la gangrène bouffe mes intestins, je m'autodétruis. Mon cœur se met à battre furieusement, le pauvre organe tente de résister à l'infection. Mais il ne peut rien. La montée de spleen est sans compromis. Il est touché.

        Alors tout s'effondre, mes pas se font lourds, mes mollets me font mal et mes talons s'enfoncent dans l'asphalte. Cette ville que je ne connais pas et qui ne me connaît pas, cette ville a déjà l'intention de m'avaler. Je disparais. Je suis un étranger ici.
Le désespoir. C'est le mot clef. Je sais désormais qui il est réellement et il me fait mal, vraiment mal, je souffre. Le désespoir, cette fois ci, aucun doute, je le connais. C'est lui qui me vide de toute ambition, de tout lendemain, de tout projet. C'est lui qui nourrit mon visage de plomb.
Je n'aurai pas du sortir. Il est normal que je sois seul chez moi, ça l'est moins dans un des quartiers les plus connus de cette planète. Ne pas sortir seul la nuit. "L'ennui, fruit de la morne incuriosité, prend les proportions de l'immortalité."

          Je sors mon téléphone, mécaniquement, dernier lien qui me rattache à des personnes que je connais. Mais alors un doute abominable me submerge. Et si je ne connaissais personne, non, c'est faux, je connais beaucoup de monde. Et s'ils ne comptaient pour moi ? C'est aussi une erreur, nombreux ont une place dans mon cœur, dans mes tripes, dans ma tête.
La vraie question, celle qui me terrifie, celle qui bloque mes genoux et les fait trembler, c'est celle de la réciprocité.
Est-ce que, moi, je compte pour eux ?
Non.
La gangrène a pris de l'ampleur. Je suis seul, ici et ailleurs.
Tous mes amis, toutes mes connaissances, ont offert leur cœur à une ou des personnes. Je n'étais pas là lors du partage, je suis hors jeu.
La réciprocité n'est pas de mise, tout ceux qui comptent pour moi sont satisfaits de passer du temps en ma compagnie, satisfaites d'avoir des nouvelles, satisfaits de m'avoir dans leur liste de contact. Mais je ne compte pas, je ne compte pas réellement. Je ne pèse pas dans la balance.
Même ma famille ; si cette notion a encore un sens ; est étrangère à moi, et je suis un étranger parmi ses membres.
De plus il est déjà tard. Qui voudrait recevoir l'appel d'un misérable au beau milieu de la nuit? Et appeler pour se plaindre, peu de personnes aime écouter les lamentations d'autrui.
J'ai toujours trouvé détestable de recevoir les consolations de quelqu'un, beaucoup disent qu'on reconnaît les vrais amis dans les moments difficiles, oui, mais ce ne sont pas ceux qui sont présents. Ce sont les absents, ceux qui ne viennent pas vous consoler tout en se délectant de vos malheurs, comme pour mieux apprécier leur petite vie triste, mais convenable à coté de votre désespoir.
Il n'est jamais agréable d'avoir un ami malheureux, on commence toujours par lui remonter le moral, puis on le laisse tomber. Mais ici, je ne me plains pas, je ressens.

         Alors je l'appelle lui, parce que je sais qu'il ne dort pas, et je suis presque certain de pouvoir compter sur lui, je l'espère.
Je l'appelle et alors, alors, chose qui n'est pas arrivée depuis bien longtemps, je sens la gangrène bouillonner dans mon cœur quand il décroche, bouillonner dans ma gorge quand je veux parler, et inonder mes yeux comme pour mieux m'apaiser.

Par lejanusse le Jeudi 19 avril 2007 à 10:20

Je suis on ne peut plus d'accord et j'en ai fait l'une de mes maximes de vie : "RIEN N'EST PIRE QUE L'INDIFFERENCE"....
Par julien le Jeudi 19 avril 2007 à 13:16
Oui,

Et en ce qui me concerne, la maxime serait plutôt "JAMAIS INDIFFERENT". Quitte à trop se soucier, quitte à s'effacer.

...mais le reste n'est que fanfarandoles.... :)
Par godsavethepims le Jeudi 19 avril 2007 à 13:46
Eh ben... il a changé mon Juju imperturbable et stoïque...
Bah de mon point de vue tu n'en ressortira que grandi...

En tout cas c'est très bien ecrit.

Dommage que tu ne compte pas pour moi
;-)

Clément
Par julien le Jeudi 19 avril 2007 à 13:52
Imperturbable et stoïque... ça me manquerait presque.

Est ce que... est ce que ça voudrait dire que mon coeur commence à ressentir des choses? Deviendrai-je "un vrai petit garçon"? la fée bleue et tout le tralala?

Non, mais... je sais que je n'ai jamais compté pour toi Clément, n'en rajoute pas. :) .
Par julien le Samedi 28 avril 2007 à 19:40
Quel étranger ici ne se sent pas chez lui ?
Mais ça vous prend ainsi dès que tombe la nuit
Sa place, on ne l’a pas dans cette ville immense,
Croit-on ; C’est le mauvais rêve qui recommence.

Mohammed Did in Ombre Gardienne (2003), Editions de la différence
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Et j'arrive à la conclusion que plus que la faim, la soif, le chômage, la souffrance d'amour, le désespoir de la défaite, le pire de tout, c'est de sentir que personne, mais absolument personne en ce monde, ne s'intéresse à nous.."

Paulo Coelho, Comme le fleuve qui coule (2007).
 

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